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Fouille du sanctuaire romain de Montenero Sabino (Italie)

Responsables : Aldo Borlenghi, Matthieu Poux (université Lumière Lyon 2 – laboratoire ArAr)

Premiers résultats 2019

L’été 2019 a vu l’ouverture d’un nouveau chantier-école de l’université Lumière Lyon 2 sur le site antique de Montenero Sabino (Rieti), à une soixantaine de kilomètres au nord-est de Rome dans le Latium en Italie.

© Fouille Montenero

Il a mobilisé une douzaine d’étudiants (Master « Archéologie Sciences pour l’Archéologie » - ASA) et spécialistes en archéologie dirigés par les enseignants-chercheurs Aldo Borlenghi et Matthieu Poux (univ. Lyon 2 – laboratoire ArAr), en collaboration avec la Soprintendenza Archeologia, Belle Arti e Paesaggio per le Province di Frosinone, Latina e Rieti (fonctionnaire archéologue responsable du territoire : Alessandro Betori) et en partenariat avec la commune de Montenero Sabino, le Centro Nazionale della Ricerca (CNR, Italie), la société Archeodunum SA et le Laboratoire Universitaire d’Enseignement et de Recherche en archéologie Nationale (LUERN) ainsi qu’avec le soutien administratif de l’association d’étudiants de Lyon 2 Stud’Archéo.

Une première campagne de sondages, conduite du 15 juin au 15 juillet et suivie avec beaucoup d’intérêt par la presse régionale en Italie, a livré des résultats très encourageants. Les vestiges et le mobilier découverts, en cours d’étude, permettent d’ores et déjà d’avancer plusieurs hypothèses concernant l’organisation spatiale, la fonction et la datation du site, qui déboucheront dès 2020 sur des fouilles plus extensives.

Un sanctuaire dédié à la déesse sabine Vacuna ?

© Fouille Montenero

Le site archéologique est localisé sur la commune de Montenero Sabino (Italie) au lieu-dit « Leone ». Il occupe une légère éminence dominant une vallée des Apennins rattachée au territoire des Sabins antiques, conquis par Rome dans la première moitié du IIIe s. av. J.-C.
Bien qu’identifié depuis des décennies par les prospecteurs et les archéologues locaux, il n’avait jamais fait l’objet de recherches approfondies jusqu’à ce jour.

© Fouille Montenero

Une grande stèle inscrite de la deuxième moitié du Ier s. av. J.-C., découverte dans les années 1950, comporte une dédicace privée à Vacuna, déesse topique bien attestée en territoire sabin.

© Fouille Montenero
D’autres sanctuaires ou lieux de culte consacrés à cette divinité sont attestés surtout le long de la via Salaria dans l’actuel département de Rieti, sur la base de rares inscriptions ou de vestiges, mais la plupart d’entre eux restent très mal connus et n’ont été que très peu, ou pas du tout fouillés. La dea Vacuna, divinité à la fois agreste et militaire, est assimilée par les Romains sous l’Empire principalement à la déesse Victoria : elle a des liens avec les cultes de la fertilité de la terre ainsi qu’avec le culte de l’eau et ses vertus curatives, mais elle est aussi la divinité qui permet de mener à bien un projet ou une action.

© Fouille Montenero

Entièrement recouvert par la végétation, le site occupe au moins trois niveaux de terrasses soutenues par des murs en pierre sèche affleurant à la surface de l’humus. Il est longé par une voie antique, signalée par la découverte de nombreuses monnaies romaines. Les terrasses ont également livré de nombreux objets, mis au jour par les travaux agricoles ou retrouvés par les habitants de la commune : fragments architecturaux, monnaies campano-romaines ou romaines d’époque républicaine et impériale, céramiques à vernis noir, céramiques communes et petits objets divers, prouvent que le site a été occupé ou fréquenté au moins à partir du début du IIIe s. av. J.-C. et jusqu’à la fin de l’Antiquité.

Ces indices, synthétisés par le chercheur Federico Giletti (université de Naples Federico II) dans un ouvrage paru en 2012 (Giletti F., Dai Sabini ai Romani. Antichità e sviluppo del territorio di Montenero Sabino, vol. 1, Rieti 2012), ont motivé la mise en œuvre d’une campagne de sondages préliminaire visant à identifier la présence de vestiges antiques, à en évaluer l’état de conservation, et à en préciser le plan, la stratigraphie et la chronologie.

Un grand édifice maçonné d’époque républicaine

Deux tranchées perpendiculaires ont été ouvertes au niveau de la terrasse centrale : une tranchée est-ouest de 50 m de long et une tranchée de 30 m de long orientée nord-sud. Ces deux tranchées ont été prolongées jusqu’au niveau des murs en pierre sèche qui circonscrivent la terrasse, pour tenter d’établir leur datation. Conservé sur plus de 1,70 m de hauteur, le mur de terrasse septentrional est formé de blocs calcaires grossièrement équarris, parfois de taille imposante, sans liant apparent. Le remblai qui le sépare de la paroi rocheuse a livré quelques tessons de céramique à vernis noir, militant pour un aménagement de la terrasse dès l’époque républicaine.

© Fouille Montenero

Si la moitié orientale de la terrasse s’est révélée totalement vierge de constructions et de couches d’occupation ‒ à l’exception de quelques monnaies erratiques du IVe siècle de notre ère ‒, son tiers occidental est occupé par un ensemble bâti, dont les vestiges très arasés affleurent sous le niveau de marche actuel. Après décapage de la terre végétale, de nombreuses structures maçonnées d’époque romaine ont été mises au jour. En particulier, plusieurs sols en opus signinum ornés de lignes de tesselles blanches, qui composent des décors caractéristiques de l’époque républicaine (IIIe ou IIe s. av. J.-C.).
© Fouille Montenero

Ils sont délimités par des murs, presque entièrement récupérés, construits à l’aide de blocs calcaire sommairement équarris et liés à l’argile. Dans l’emprise des tranchées ont pu être individualisées trois grandes pièces adjacentes, dont une de dimensions légèrement inférieures à celles des deux autres, précédées à l’est d’un large portique ou vestibule cloisonné. Elles semblent constitutives d’un seul et même bâtiment quadrangulaire d’environ 17 m de long par 14 m de large, pour une superficie totale estimée à 250 m2, dont il n’a été possible d’en mettre à jour qu’une petite portion. Sa façade sud confine à la paroi rocheuse, dont elle est séparée par un vide sanitaire. Une empreinte de demi-colonne visible sur le sol en face des trois pièces indiquerait la présence de colonnes qui en articulaient l’espace.

Ni l’organisation interne, ni la nature exacte de cet édifice n’ont pu être déterminées cette année. Malgré son plan asymétrique, il peut tout aussi bien correspondre à un temple de plan étrusco-italique ou apparenté, qu’à une maison à pastas avec des structures annexes comme une salle à banquets, liées au fonctionnement du culte tel que décrit dans les textes ou représenté sur un bas-relief. À noter que deux autres tranchées, ouvertes au niveau de la terrasse sommitale, n’y ont pas révélé la moindre trace de construction ou d’aménagement.

Premiers indices d’un culte rendu à une divinité féminine

Le matériel récolté dans le bâtiment ou à ses abords immédiats est relativement abondant et confirme sa datation précoce. Il comprend, en particulier, plusieurs ex-votos en terre cuite, de nombreux fragments de lampes, de céramiques à vernis noir, sigillées et communes, des monnaies et des restes fauniques, couvrant une large période qui s’échelonne du IIIe s. av. J.-C. à la première moitié du Ier s. ap. J.-C.
© Fouille Montenero
Parmi les ex-votos anatomiques, se signale la présence d’au moins un utérus bien conservé et de plusieurs fragments, dont celui d’un pied : la partie du corps représentée et offerte à la divinité indique l’organe ou le membre pour lequel on demande et on obtient la guérison. Un visage fragmentaire en terre cuite, appartenant peut-être à une tête ou à une statue, pourrait également constituer un ex-voto ou un fragment de décor architectural.

© Fouille Montenero
La majeure partie de ces éléments provient d’un large puits circulaire, creusé dans le rocher sur une profondeur de plus d’1,50 m, ou des niveaux adjacents. Chargés en blocs, fragments d’enduits et de tuiles issus de l’effondrement des murs et des toitures, ces derniers livrent plusieurs marqueurs de la fin de la période augustéenne ou julio-claudienne, fournissant un terminus post quem après le changement d’ère pour l’abandon du sanctuaire.
Quelques monnaies d’époque d’époque impériale, recueillies en prospection à la surface du site, témoignent de sa fréquentation épisodique, probablement liée au passage de la voie.

© Fouille Montenero

Les niveaux qui jouxtent l’angle nord-ouest du bâtiment sont perforés par plusieurs inhumations en coffre, attribuables à l’époque tardo-antique ou au haut Moyen-Âge d’après les objets recueillis à la surface du bâtiment et du site (nombreuses monnaies du IVe siècle, lampe africaine, plaques-boucles). Ces indices d’une réoccupation du sanctuaire à la fin de l’Antiquité peuvent être corrélés à l’existence d’une ancienne église de San Giovanni in Leone, localisée dans ce secteur sur la base des sources médiévales et de la toponymie.

La validité des premières observations effectuées sur le terrain reste suspendue à l’étude des mobiliers, à la datation des sépultures au radiocarbone ou encore, au recollement des collections anciennement recueillies en prospection. L’analyse des ossements ou de certains marqueurs paléo-environnementaux devrait livrer, à terme, d’autres informations relatives au cheptel impliqué dans les pratiques sacrificielles, à la présence éventuelle d’une source ou d’un bois sacré.

La découverte d’un sanctuaire de la déesse Vacuna, qui sera le premier à bénéficier de fouilles extensives, soulève de nombreuses questions, fondamentales pour appréhender l’organisation religieuse et politique du territoire sabin avant la conquête et sa romanisation au cours des derniers siècles qui ont précédé le changement d’ère.

Ces questions forment le socle d’un ambitieux projet de recherche qui impliquera, notamment, l’acquisition d’un relevé LIDAR visant à réaliser un MNT (modèle numérique de terrain) des terrasses, ainsi que la mise en œuvre de fouilles plus étendues, planifiées sur au moins trois ans (2020-2022).